Une option de vente de titres à prix fixe d’un dirigeant, supérieur à leur valeur de marché, n’est pas un instrument incitatif imposable comme un salaire au moment de la vente des titres si elle a été consentie pour régler un conflit entre actionnaires

You are currently viewing Une option de vente de titres à prix fixe d’un dirigeant, supérieur à leur valeur de marché, n’est pas un instrument incitatif imposable comme un salaire au moment de la vente des titres si elle a été consentie pour régler un conflit entre actionnaires

Le gain de vente de titres à prix fixe du dirigeant n’est pas imposable comme un salaire si le prix fixé règle un conflit entre associés.

C’est ce que vient de juger le Conseil d’Etat dans son arrêt du 5 juin 2023, n° 467546, concl. R. Victor, note J.-L. Médus.

Cet arrêt constitue une nouvelle espèce sur le thème des managements packages, dans une affaire dont l’originalité et l’intérêt tiennent essentiellement au fait que l’avantage consenti au salarié dirigeant résulte de l’octroi d’une option de vente de titres.

Pour rappel, le contentieux des managements packages réside en la requalification par l’administration fiscale des gains de cession de titres par les dirigeants salariés de sociétés participant à des opérations de reprise desdites sociétés avec effet levier (LBO), en principe imposable dans la catégorie des plus-values de cession de valeurs mobilières (PV-VM) au PFU au taux global de 30% (12,80% d’impôt sur le revenu (IR) et 17,20% de Prélèvements Sociaux (PS)), en supplément de rémunération imposable dans la catégorie des traitements et salaires (TS) soumis à la fois :

  •  au barème progressif de l’IR, dont le taux varie de 0% à 45% ;
    et
  • à cotisations et contributions sociales sur les revenus d’activités dont le taux est d’environ 50% pour les salariés ou assimilés.

Un rapide comparatif des taux d’imposition des PV-VM par rapport aux TS permet de conclure que le taux d’imposition des PV-VM est bien inférieur au régime des TS.

Le contentieux se noue essentiellement sur le point de savoir si ce gain est ou non une contrepartie à leur fonction de dirigeant de la société rachetée.

Vous trouverez la position de l’adminsitration fiscale sur ces questions ici.

RAPPEL SYNTHÉTIQUE DES FAITS :

Une société a fait l’objet en 2006 d’une opération de rachat avec effet de levier, dite « leveraged buy out » (LBO), par un groupe financier de reprise.

À l’issue de cette opération, le capital de la société holding de reprise se partageait entre ledit groupe financier, actionnaire majoritaire à hauteur de 57,14 %, et l’équipe de direction de la société rachetée, à hauteur de 42,86 %. Au sein de l’équipe de direction, été présent M. B détenant personnellement 2,57 % des titres de la société holding de reprise.

Au cours de l’année 2008, une société tierce a formulé une offre de rachat des titres de la société holding de reprise au prix d’environ 12 € l’action.

Le groupe financier de reprise initial, majoritaire, n’a pas voulu donner suite à cette proposition.

L’équipe de direction n‘était cependant pas d’accord avec cette position et souhaitait au contraire accepter l’offre de rachat de la société tierce.

Pour mettre fin à cette opposition entre associés, le groupe financier de reprise initial a consenti le 1er avril 2008 à M. B ainsi qu’aux autres membres de l’équipe de direction des promesses d’achat d’actions leur garantissant un prix de rachat minimum d’environ 11 €, assorti de clauses mécaniques d’ajustement, pour une fraction seulement des actions qu’ils détenaient dans la société holding de reprise. En contrepartie, l’équipe de direction a immédiatement versé une prime fixe au groupe financier de reprise initial.

Cette option de vente était exerçable par les membres de l’équipe de direction dans certains cas de cessation des fonctions, ainsi qu’en cas de défaut dans le remboursement des emprunts bancaires qu’ils avaient contractés pour le financement de l’acquisition des actions de la société holding de reprise, de perte de contrôle de la société reprise par le groupe financier initial ou d’opérations permettant à ce groupe de percevoir un montant correspondant à une fois et demi son investissement initial.

La société holding de reprise ayant été revendue le 4 octobre 2011 à une société tierce pour un prix d’environ 2 euros par action. M. B a alors cédé l’ensemble de ses actions à ce prix, à l’exception des titres couverts par la promesse d’achat du 1er avril 2008, qui ont été rachetés par le groupe financier initial au prix unitaire d’environ 11 euros, résultant de l’application de la promesse susvisée.

PROCÉDURE ET SOLUTION :

À la suite d’un contrôle sur pièces, l’administration fiscale a cependant considéré que le prix de cession des titres vendus par M. B au groupe financier de reprise initial au prix unitaire d’environ 11 €, quand la valeur vénale des titres était d’environ 2 € au jour de la cession,  devait être regardé comme une rémunération occulte taxable entre les mains de M. B  dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers (RCM) sur le fondement du c de l’article 111 du Code général des impôts (CGI), et non comme une plus-value imposable de cession de valeurs mobilières.

Au cours de la procédure, l’administration a réalisé une substitution de base légale pour requalifier le prix de cession litigieux en supplément de rémunération imposable dans la catégorie des traitements et salaires (TS) sur le fondement de l’article 79 et 82 du CGI.

Le Conseil d’Etat a rejeté la prétention de l’administration fiscale considérant qu’une option de vente assortie d’un prix minimal octroyée à un dirigeant dans une opération de LBO lui ayant permit de vendre une partie des actions qu’il détenait à un prix six fois supérieur à leur valeur de marché ne s’analyse pas en un instrument incitatif de management package imposable dans la catégorie des TS dès lors que l’option d’achat à prix fixe litigieuse avait été octroyée dans le but de régler un conflit actionnarial.

Le gain résultant de son exercice demeure  en conséquence imposable selon le régime des plus-values de cession de valeurs mobilières.

EXPLICATIONS COMPLÉMENTAIRES :

Le litige portait sur les modalités d’imposition du gain réalisé par M. B à l’occasion de cession des titres visés par la promesse de rachat dont le prix fixé à l’avance était supérieur à la valeur vénale des titres au jour de la cession.

Le raisonnement développé par les juges de cassation est identique à celui suivi dans les décisions d’assemblées plénières de 2021,

(CE, 13 juill. 2021, n° 437498 : Lebon, p. 258 ; Dr. fisc. 2021, n° 29, act. 425 ; Dr. fisc. 2021, n° 39, comm. 354, J.-L. Médus. – CE, 13 juill. 2021, n° 435452 : JurisData n° 2021-011430 ; Lebon, p. 255 ; JCP E 2021, 554 ; Dr. fisc. 2021, n° 39, comm. 354, J.-L. Médus),

mais adapté au cas particulier que constituait la promesse d’achat à prix fixé.

Celle-ci avait été consentie par le groupe financier de reprise initial indépendamment de l’investissement professionnel de M. B et n’était pas davantage destinée à l’inciter à demeurer dans la société holding de reprise dans la mesure où l’option pouvait être exercée même s’il quittait ses fonctions.

En sus, la promesse était intervenue en raison d’un désaccord entre les actionnaires de la socéiété holding de reprise quant à la manifestation d’intérêt formulée par une société tierce pour le rachat de la société holding de reprise et, en outre, le prix minimum de rachat fixé ne garantissait pas un gain futur à la date de sa conclusion (1er avril 2008).

Ainsi, le profit effectivement réalisé par M. B ne pouvait être regardé comme la contrepartie de ses fonctions de dirigeant.

Cet arrêt met en lumière l’une des nombreuses problématiques juridiques et fiscales à prendre en compte dans le cadre des opérations de rachat/vente d’entreprises, notamment lorsque les dirigeants salariés de la société reprise sont intégrés à son capital pour les inciter à participer à son développement.

Le cabinet DI ROCCO AVOCAT accompagne quotidiennement les entrepreneurs dans le cadre de l’acquisition ou la cession de leur entreprises dans toutes ses composantes fiscales et juridiques.